Il était une fois...
C'est difficile de le croire, encore plus dur de le visualiser, mais il fut un temps où Iago n'était qu'un innocent oisillon tout mignon, à peine sorti de l’œuf. Il vivait avec les autres perroquets et volatiles de tous genres dans une oasis proche d'Agrabah.
Son quotidien paisible bascula lorsque des marchands firent une halte dans l'oasis. Jusque-là, rien de grave. Des voyageurs, les oiseaux en voyaient souvent. Les volatiles ne réalisèrent que trop tard l'objectif précis que ces voyageurs avaient en tête. En un rien de temps, le jeune perroquet rouge se retrouva coincé dans une cage avec d'autres oiseaux puis celle-ci fut entreposée à côté d'autres cages sur un étal du marché Agrabien. Adieu, vie tranquille et bonjour le monde cruel des humains.
Dans cette nouvelle maison (si on pouvait appeler çà ainsi), il était clairement le maillon faible. Les plus beaux oiseaux étaient achetés, les plus forts monopolisaient la nourriture que le marchand leur jetait à travers les barreaux. Il n'entrait dans aucune de ces catégories. Ses seuls atouts étaient son esprit plus aiguisé que celui de ces semblables et sa langue bien pendue.
Il mit ces dons naturels à profit en utilisant plusieurs ruses pour attirer le regard du client potentiel. Les autres volatiles misaient sur leurs jolis plumages ou leurs chants mélodieux, le perroquet rouge préférait imiter les humains en répétant parfaitement ce qu'ils disaient devant le marchand. En clamant des phrases du genre
"coco veut un gâteau", il obtenait même à manger ! Devant ce succès, il ne pouvait s'empêcher de narguer ces semblables avant de manger doucement le biscuit devant eux. C'était une époque où il aimait encore ce genre de nourriture, puisqu'il s'agissait de la seule qu'il arrivait à obtenir.
Pourtant, le temps passa et personne ne semblait s'intéresser à lui, au point qu'il ne restait plus que lui dans cette cage parmi les
"anciens". De nouveaux oiseaux venaient et repartaient aussitôt tandis que lui restait. Oh, au moins, il ne devait plus se battre pour manger.
À force de voir le regard dédaigneux des humains posés sur lui en passant devant l'étale du marchand, le perroquet devint sarcastique, répétant toujours les paroles qu'il entendait, mais y ajoutait ensuite une remarque acerbe de son invention. Sans parler des fois où il se plaisait à semer la zizanie chez un couple en glissant des commentaires salés.
"Ce n'est pas moi, c'est l'oiseau !" Protestait la malheureusement victime en le pointant du doigt. L'oiseau incriminé affichait alors son air le plus stupide en poussant un petit sifflement.
"Ne sois pas stupide, ce n'est qu'un oiseau." Répliquait la personne vexée.
Et le perroquet en question avait bien du mal à attendre que les victimes de son petit jeu se soient suffisamment éloignées pour laisser éclater son rire. Bref, il passait le temps comme il le pouvait en ignorant que ces innocentes farces avaient attiré l'attention d'une certaine personne.
Les humains sont stupides. À force de les tourner en bourrique, l'oiseau en était vite venu à cette conclusion. Jusqu'au jour où il se retrouva devant Jafar. Clairement, le sorcier avait quelque chose de différent (Dans la catégorie : Frisson dans le dos). Le perroquet choisit de jouer la prudence en feintant d'être un oiseau ordinaire, mais un regard du Grand Vizir lui indiqua immédiatement que sa comédie ne prenait pas avec lui. Le perroquet vit ensuite un expert à l'œuvre lorsque le sorcier négocia son achat. Le prix (pourtant déjà ridiculement bas) ne cessait de descendre au moindre mot de la part de Jafar jusqu'à ce que la phrase
"ce serait un honneur pour moi de vous l'offrir" sortit de la bouche du marchand. Impressionnant !
Le perroquet rouge s'était juré que dès le moment où cette maudite cage s'ouvrirait, il filerait loin d'Agrabah mais l'admiration éprouvée pour le sorcier ce jour-là le fit changer d'avis. Au lieu de voler vers la liberté, il se laissa docilement poser sur l'épaule de son nouveau maître et ne retrouva l'usage de sa langue qu'en voyant le magnifique palais qui allait devenir sa nouvelle maison. Ce jour-là, il cessa d'être
"le perroquet" pour recevoir un nom : Iago.
Tout n'était pas toujours rose dans cette nouvelle vie. Iago jouait les espions et acceptait de temps en temps de se roussir les plumes lorsque Jafar jouait les apprentis sorciers dans son laboratoire secret. Mais, en échange, il profitait de tout le confort qu'un oiseau pouvait rêver d'avoir. Coussins douillets, les plats les plus rares au dîner et se payer la tête du Sultan en prime (tout en esquivant les biscuits horribles que ce dernier essayait de lui faire manger à chaque fois). C'était la grande vie !
Tout était parfait. Pourtant, Jafar ne semblait pas de cet avis. Il était sans cesse en quête d'objets magiques pour augmenter son pouvoir. Sa plus grande fixette du moment concernait la recherche de la fameuse caverne aux merveilles, endroit magique gardant l'objet le plus puissant de ce monde, une lampe. Trouver la grotte avait déjà été un sacré tour de force, mais, le but atteint, un autre couac se présenta : seul un diamant d'innocence pouvait y entrer.
(On remet rarement en doute les paroles proférées par une tête de tigre géant en sable. Surtout après que le voleur engagé pour y entrer se fait avaler sous vos yeux.)Comme si un seul revers de fortune ne suffisait pas, un autre grain de sable dans les jolis projets de son "maître"
(quoi que Iago préférait voir sa relation avec Jafar comme un partenariat donnant-donnant) ne tarda pas à apparaître. Ou, plus exactement, ce grain de sable avait toujours été là mais il commençait à devenir sacrément problématique. Le Sultan avait une fille un peu trop maline pour son propre bien. La princesse Jasmine était de plus en plus lucide concernant les ambitions du Grand Vizir et de moins en moins encline à garder son opinion pour elle.
Ce double coup du sort fit réaliser avec horreur à Iago que sa vie idéale avait une date limite puisque la belle devait trouver un prétendant avant son prochain anniversaire. Lorsque Jasmine se trouvera un abruti de mari et prendra la succession de son père, ils seront bannis ou... Pire !
C'est alors que le volatile eut une idée géniale : et si c'était Jafar qui devenait l'abruti de mari en question ? Il deviendrait Sultan. Un petit coup de canne magique hypnotisant plus tard, l'affaire semblait réglée. Enfin, c'est ce qu'ils avaient prévu. Sauf qu'au moment d'annoncer la bonne nouvelle à la princesse, celle-ci était tombée amoureuse de quelqu'un d'autre. L'effet de l'hypnose sur le Sultan cessa alors que ce dernier manifesta sa joie devant cette nouvelle.
Ce qui nous amène au grain de sable numéro 2 : Aladdin. L'ironie du sort fut que le vaurien était le fameux cœur pur dont ils avaient besoin pour récupérer la lampe. Bien sûr, Jafar comptait l’éliminer lorsque le travail serait accompli. C'était le genre de combine idéale où au mieux, la lampe serait entre leurs mains, au pire, le vaurien mourrait. Bien sûr, cela ne se passa pas comme prévu.
Ils avaient cru le vaurien mort, englouti par la caverne. Tout était à refaire. Sauf qu'Aladdin revint sous le nom du Prince Ali à faire des ronds de jambes devant le Sultan pour courtiser la princesse. Pas besoin d'être un génie (c'est le cas de le dire) pour trouver l'explication de ce mystère. Le gosse avait la lampe ! Heureusement que le Grand Vizir pouvait compter sur son fidèle oiseau pour récupérer la lampe ! Parce que sinon Jafar aurait manqué d'un plan B lorsqu'Al revint tout dévoiler des manigances du Grand Vizir !
Être démasqué importait peu, puisque maintenant, grâce à Iago, Jafar avait la lampe. Son premier vœu fut d'être nommé Sultan. Logique. Presque immédiatement après, le deuxième vœu fut utilisé pour être le plus grand sorcier de ce monde. Aux yeux de Iago, cela sonnait comme du gaspillage de vœux, mais, comme il allait profiter des avantages de ce gain de pouvoir, il n'allait pas s'en plaindre.
Le perroquet profita du règne de Jafar pour se venger de l'ex-Sultan en lui enfonçant dans la gorge ces satanés biscuits et aussi pour profiter des autres petits plaisirs de la vie qui s'offrait naturellement à vous lorsqu'on était au service du dictateur local. Sans l'intervention du vaurien, il aurait certainement continué de vivre la belle vie. L'ennui avec les héros, c'est qu'ils ont tendance à revenir, surtout lorsque le méchant détient l'élue de son cœur. Mais Aladdin ne serait pas le seul nom figurant sur sa liste si jamais Iago devait en faire une qui retracerait les responsables de sa déchéance. Jafar aussi y tiendrait une bonne place puisque ce dernier s'est laissé embobiner comme un débutant par le vaurien en souhaitant devenir le génie le plus puissant de l'univers.
Tandis que Jafar frimait avec ses nouveaux pouvoirs, le regard de Iago restait braqué sur la lampe noire en train de se matérialiser et en vint rapidement à une conclusion :
çà sentait le roussi. Entre rester fidèle à Jafar et finir enfermer dans la lampe avec lui pour une bonne partie de l'éternité
OU BIEN le trahir en filant loin du danger, le choix fut vite fait. Malheureusement, Jafar le saisit en plein vol, l'entraînant avec lui dans sa chute. Iago se retrouva enfermé dans un espace rikiki avec, pour seule compagnie un Jafar furax. Pire collocation du monde ! Autant dire que dès que l'occasion de sortir de là se présenta, il la saisit. Il aurait pu aider Jafar à s'échapper également.
Il aurait pu. Sauf qu'il avait fallu que Jafar fasse l'andouille, à exiger sa libération alors que monsieur l'ex-Vizir n'était clairement pas en position d'exiger quoique se soit ! Après cette énième prise de bec, Iago vola vers la liberté sans un regard en arrière. C'est ainsi que prit fin l'association Iago/Jafar.
Fini de jouer les sous-fifres. Désormais, Iago était son propre maître. Malgré tous ces efforts pour remonter la pente, elle semblait loin, la vie de luxe auquel il s'était habitué. Ces vilains tours ne lui rapportaient pas grand-chose hormis la satisfaction de rouler ces pigeons d'humain (ce qui était toujours bon à prendre). Peut-être était-ce un signe qu'il devait filer loin d'Agrabah ?
Le perroquet étudiait sérieusement cette éventualité lorsqu'il croisa Aladdin. Monsieur était habillé comme un prince et déambulait avec assurance, comme si Agrabah lui appartenait ! Tout çà parce qu'il avait sauvé le monde. Iago trouva cela injuste et complota immédiatement afin de se servir du vaurien comme marchepied pour signer son grand retour au palais. Iago ne doutait pas un seul instant pouvoir rouler ce énième gogo dans la farine (aussi héroïque que ce gogo-là pouvait être). Hélas, on ne lui en laissa pas le temps.
Le presque trentenaire se passa une énième fois de l'eau froide sur le visage comme si çà pouvait l'aider à démêler la foule de choses qui lui était tombé sur la tête en un temps records. Tellement de questions lui vrillaient le cerveau. C'était quoi cette tête ? C'était quoi cette ville ? C'était quoi cette vie ? Et puis... Cette vidéo....
"Reste calme, Iago. Reste calme." S'ordonna-t-il dans un murmure en contemplant son reflet dans le miroir de la salle de bains.
En réalité, il avait toutes les raisons d'être paniqué, malgré le fait que Iago était plutôt fier de sa capacité d'adaptation. Là, en plus d'une tonne de choses à prendre en compte, il y avait un micro détail qui sonnait comme une sacrée épine dans son pied.
Son alter ego était un crétin fini ! Tailler un costard aux grandes pompes de ce monde dans une émission dite
"satirique" passant heureusement à une heure d'écoute improbable. Ok, on pouvait dire que son autre lui usait de son don pour l'imitation vocale de manière amusante, mais, le côté pragmatique de Iago ne pouvait s'empêcher de se demander : et tout cela pour quel résultat ? Pour payer difficilement un loyer dans cet appartement minable situé dans un quartier minable ! Merci du cadeau ! Son autre lui ne semblait pas comprendre cette règle de survie essentielle : les puissants, il fallait les mettre dans sa poche et non s'en moquer.
Toutefois, ce qui inquiétait véritablement Iago, c'était son surnom en tant qu'animateur radio. Littlebird. Référence à l'expression
'c'est un petit oiseau qui m'a dit' pour la partie ragots de son émission. C'est bon, il avait compris la blague. N'empêche... Littlebird. Pourquoi pas perroquet rouge, tant qu'on y était ? Autant se mettre une cible sur la tête pour que toutes les personnes qu'il avait roulées dans le passé comprennent qui il était et où le trouver en un éclair.
Et si Jafar avait également été embarqué ici ? Quelque chose lui disait que l'excuse
"la personne qui t'a dit tes quatre vérités avant de te laisser planté là, tu as peut-être cru que c'était moi, parce qu'il avait la même voix que moi, mais il y a des tonnes de gens qui ont la même voix que moi" ou un
'oh ça va, tu aurais fait pareil si c'était toi qui serais sorti de la lampe en premier' n'assurerait pas sa survie face à la colère du génie le plus puissant de l'univers.
"Ton apparence, c'est la clef de ta survie ici." Continua-t-il pour se rassurer.
L'ancien perroquet se creusa la mémoire. Qu'est-ce qui pourrait le trahir ? Son nom d'animateur ? Au pire, çà montrait qu'il était un oiseau avant. S'il en croit cette vidéo reçue par ce Monsieur Fate, il n'était sans doute pas le seul piaf à avoir été embarqué ici par ce tordu. Des oiseaux, ces... C'était quoi le nom, déjà ? Ces Disneys n'en manquaient certainement pas, non ? Il allait devoir se faire une sacrée séance de rattrapage. Histoire de savoir qui était quoi. Quoi d'autre ? Son prénom peut-être. Il allait falloir qu'il regarde si Iago pouvait correspondre à un autre personnage. Oui ! C'est çà ! Il allait devoir se trouver une jolie petite histoire qui pouvait coller et l'apprendre par cœur avant de se repointer dehors.
"Facile." Commenta-t-il en retrouvant un peu de son calme. Les mensonges, c'était comme une seconde nature chez lui.
Dans le doute, il allait fuir les visages un peu trop familiers. Pour Aladdin ou Jasmine, cela serait facile de changer de trottoir s'il venait à les croiser. Mais le génie ou le macaque avait certainement changé d'apparence comme lui. 'Si' ils étaient ici. Iago comptait énormément sur ce 'si'. Avec un peu de chance, il est le seul à avoir été emmené ici et Jafar serait toujours coincé dans cette foutue lampe au milieu du désert. Avec un peu de chance...
"En attendant, tu fais profil bas, tu laisses traîner une oreille attentive, tisses quelques liens utiles et dès qu'une occasion en or se présente, tu l'as saisi." S'ordonna-t-il de nouveau avec un calme totalement retrouver.
Finalement, cette vie minable qu'il se coltinait ici était peut-être une bonne chose. Ici, il n'était rien et c'était très bien ainsi. Pour l'instant. Le discours de ce Monsieur Fate lui revint en mémoire. Qu'est-ce qu'il avait dit déjà ?
"Acceptez mes conditions et je vous donnerai tout ce dont vous rêvez." Répéta-t-il dans une imitation de la voix enregistrée. Il adressa à son reflet un grand sourire.
"Oh, mon coco, mais s'il n'y a que cela pour te faire plaisir... Prépare un max de luxe et de volupté, parce que j'arrive."