Gil avait l'habitude de ne pas comprendre grand-chose. Sauf que, cette fois, personne ne semblait être là pour lui expliquer ce qu'il devait savoir ou lui dire ce qu'il était supposé faire. Les sourcils froncés et la mine concentré, le fils de Gaston s'essaya à une chose inédite pour lui : réfléchir.

Quelle était la dernière chose dont il se souvenait ? Facile. Ils faisaient tous la fête à Auradon. La barrière de l'île de l'oubli avait disparue. Jay lui avait annoncé qu'il avait pris une année sabbatique pour explorer le monde avec lui. Gil qui ne se voyait pas faire cela sans Uma et Harry, avait pour projet de demander à sa capitaine si un quatrième membre pouvait rejoindre leur trio. Au final, il n'eut pas l'occasion de poser sa question parce que l'instant suivant, il se retrouva... dans la situation présente.

L'adolescent lança un bref regard autour de lui. Il était entouré de personnes qu'il ne connaissait pas qui portait une tenue semblable à la sienne : des protections qui ne ressemblait pas vraiment à une armure, en dessous d'un maillot numéroté. Ils étaient entassés dans un endroit appelé vestiaire. Après avoir lancé un regard désorienté au décor, il le baissa ensuite sur le casque qu'il tenait en main, puis le releva sur la personne en face de lui. Jay... Ici il semblait s'appeler Jayson, mais Gil préférait le nommer mentalement "Pas-Jay", cela prêtait moins à confusion. Pas-Jay était le capitaine de l'équipe et, en ce moment, il essayait d'expliquer une stratégie à grand renfort de rond tracé sur un tableau. Après une pause, Pas-Jay demanda si quelqu'un avait une question. Comme s'il était soudainement monté sur ressort, Gil se redressa en levant la main et, comme à son habitude, dit tout haut ce qui lui traversait l'esprit : "Moi, j'en ai une ! Qu'est-ce qu'on fait là ?" Sa question provoqua quelques rires parmi les autres joueurs, même Pas-Jay rigola. Le fils de Gaston connaissait ce rire, c'était le rire de celui qui croyait que Gil venait de faire une blague alors que non. D'habitude, il ajoutait un "non, mais, sérieusement." et répétait ensuite sa question, mais, là, il était bien trop perturbé par ce qui l'entourait pour insister.

La réponse de Pas-Jay ne l'aidait pas du tout : "ce qu'on fait là ? On s'entraîne pour écraser le lycée Fairfax." Tous poussèrent un "Oouaaisss" enragé, sauf Gil qui était encore plus perdu qu'avant cette réponse. Alors, l'adolescent décida de faire ce qui faisait le mieux : suivre le mouvement. Il suivit ses supposés coéquipiers et essaya de comprendre ce qu'il devait faire. Il ne comprenait pas encore tout, mais, en gros, son rôle était de foncer dans le tas et d'empêcher les personnes portant une tenue d'une autre couleur que la sienne de prendre le truc ovale qu'on appelait ballon. Un principe facile à comprendre, plutôt marrant et assez défoulant.

Le reste de la journée, par contre... Ne fut pas vraiment marrant. Gil était passé de salle de cours en salle de cours. Chaque fois que l'adulte en face demanda si quelqu'un avait une question, il avait levé énergiquement la main pour poser la même question.  "Qu'est-ce qu'on fait là ?" À chaque fois, il avait obtenu la même réaction, les rires des autres élèves et le soupir exaspéré du professeur qui leva les yeux au ciel avant de faire une remarque acerbe. "C'est un cours de mathématiques, monsieur Handsome, pas de philosophie" ou "Je me pose la même question, monsieur Handsome, je me pose la même question" ou "Je voulais dire, une question en rapport avec mon cours, monsieur Handsome." et ainsi de suite. A chaque fois, Gil avait poussé un soupir en s'affaissant sur sa chaise, la mine renfrognée.  "Pourquoi on me demande si j'ai des questions si, en fait, on ne veut pas que j'en pose ?"

Lorsque la sonnerie annonçant la fin des cours retentit, Gil en était arrivé à la conclusion suivante : Réfléchir, c'était nul. ça faisait trop mal à la tête, et, en plus, ça ne servait à rien parce qu'il n'était pas plus avancé qu'avant de commencer à réfléchir ! Au contraire, les questions se multipliaient à mesure qu'il y réfléchissait. Il avait fini par s'asseoir sur les marches devant l'entrée du lycée, avec l'air perdu que pourrait avoir un chiot abandonné. Il avait l'air d'attendre quelque chose, ou, plutôt, quelqu'un. Plus précisément : il attendait ses amis. Eux, il maîtrisait tout ce truc de la réflexion. C'était les meilleurs ! Quelqu'un lui tapota l'épaule du bout du pied, Gil se retourna avec un grand sourire, s'attendant à voir Uma ou Harry. Son sourire disparu, remplacé par une immense déception. C'était Pas-Jay. Gil poussa un soupir et se remit en position d'attente.

- ça va, Gil ? Tu as été bizarre toute la journée." Demanda Pas-Jay en venant s'installer près de lui. "C'est le match qui te fait flipper ?"
- Il y a beaucoup de choses qui me font flipper en ce moment, mais, je crois pas que ce match en fasse partie." Répondit Gil avec son honnêteté habituelle.
- D'accord... Hum... Tu pourrais essayer de... te tenir un peu plus tranquille en classe ? C'est mon devoir de capitaine de m'assurer qu'aucun joueur ne se retrouve en colle. On vise la finale, tu te souviens ? Chaque entraînement compte." Pas-Jay sembla rassurer quand Gil promis d'essayer. Il avait l'impression que Pas-Jay avait insisté sur le passage 'ne pas se retrouver en colle' sans savoir pourquoi. Pas-Jay proposa : "Mon vieux, tu tires une de ces têtes ! Allez, viens, on va se manger un bout au centre commercial ?" Et, contre toute attente, alors qu'il était question de nourriture, Gil répondit par la négative.
- Je ne sais pas c'est quoi un centre commercial, mais, je ne peux pas." Répondit franchement Gil en se levant. "ça serait pas sympa pour le vrai Jay si je commençais à faire plein de trucs avec le Pas-Jay." Sous le regard plus que perplexe de Pas-Jay, Gil commença à partir, avant de revenir brutalement sur ses pas. "Pas-Jay ! Puisque tu as l'air de connaitre ma vie mieux que moi, tu peux me dire où j'habite ?"

En rentrant dans ce qui était supposé être sa maison, il vit une personne qui n'était pas son père mais qui disait l'être. C'était pareil pour ses frères, ils étaient eux sans vraiment être ceux qu'il avait connus. On l'avait regardé de travers lorsqu'il avait voulu se battre avec eux pour la meilleure part du poulet au dîner, alors que c'était quasiment une tradition familiale ! Sans parler de celui qui se prétendait être son père qui lui avait fait une remarque du style "si tu continues à manger autant d'oeufs, tu vas avoir du cholestérol !" Gil avait été tellement choqué qu'il en était resté sans voix. Là, on touchait carrément au sacrilège ! Aucun n'avait les mêmes souvenirs que lui. Après ce repas plus que déroutante, Gil avait fini par comprendre que le cas de "Pas-Jay' n'était pas unique. En fait, il était entouré de "pas-personne". Lui qui avait toujours été d'un calme olympien en toutes circonstances, commençait sérieusement à s'inquiéter. Et si jamais il retrouvait Uma ou Harry mais qu'ils s'avéraient être des "Pas-Uma' et "Pas-Harry' ? ça serait horrible !

Sur cette pensée déprimante, il était monté dans ce qu'on lui avait désigné comme sa chambre. Dedans, il y avait clairement la vie de quelqu'un d'autre. En observant la décoration, Gil songea... Et cette pensée lui avait demandé un sacré effort de réflexion... qu'il devait être dans la vie de "Pas-Gil".

"Je croyais que c'était une manière de dire qu'on tuait quelqu'un, mais, en fait, on peut vraiment voler la vie de quelqu'un..." S'exclama-t-il tout haut en faisant les cent pas dans sa chambre. Il se laissa tomber sur son lit sous le choc de cette révélation. "Alors j'aurais volé la vie de "Pas-Gil' sans m'en rendre compte ? Ou c'est lui qui a volé la mienne et j'ai hérité de la sienne par défaut ?" Avec une grimace, le fils de Gaston se massa le front. La réflexion n'était vraiment pas son truc.

En poussant un si énorme soupir qu'il en gonfla ses joues en une grimace, Gil inspecta la décoration de sa chambre. Il y avait un autre truc qui n'était pas vraiment... son truc... C'était mentir. La vie du "Pas-Gil' lui semblait difficile à comprendre, il n'était pas certain de pouvoir l'assumer. Sa décoration était partagée entre le football américain et les préparatifs d'un futur Road-Trip à travers le pays, mais ce n'était pas une décoration ordonnée. Plutôt une espèce de guerre de territoire entre ces deux passions. Une lutte pour qui emportera le plus de mètre carré dans la pièce. En plus, qu'est-ce qu'il faisait dans un lycée ? Il savait à peine écrire ! Bref, il ne se sentait pas capable de faire semblant d'être un 'Pas-Gil'. Cela lui semblait plus compliqué que d'aider Uma à kidnapper le roi Ben ou de piquer des motos avec Harry pour les balancer ensuite dans le décor et les regarder exploser.

L'adolescent se laissa aller à la nostalgie en profitant de son lit si moelleux qu'il faillit s'enfoncer dedans. "Wow ! ça, par contre, c'est cool." Commenta-t-il tout haut. Par contre, ce qui était vraiment perturbant, c'était le silence. C'était tellement déroutant d'être tout seul. Il n'avait JAMAIS été tout seul... Sauf quand Uma et Harry le mettent dehors parce qu'il avait trop parler ou dit une bêtise... Mais ce n'était jamais aussi longtemps ! Gil poussa un nouveau soupir à s'en faire exploser les joues. Ses amis lui manquaient. Ce n'était pas drôle sans eux. Il se leva d'un bond. "J'ai une idée !" Triompha-t-il. "Je n'ai qu'à les chercher !" Il se rassit, la mine soucieuse en se rappelant un détail. "Mais, comment je vais savoir s'il ne s'agit pas d'une Pas-Uma et d'un Pas-Harry ?" Il se releva sous le coup d'une nouvelle idée de génie. "Je sais ! Si j'appelle Uma "poisson pourri" et qu'elle se fâche, c'est que c'est la vraie Uma !" Il se tapota le menton en faisant les cent pas. "Et pour Harry... Pour Harry, c'est facile, s'il a son crochet, c'est que c'est le vrai Harry." Gil se détendit devant ce qui pensait être un plan parfait. C'était son premier plan, en plus. Franchement, il s'en sortait pas mal ! Lorsqu'il se réinstalla dans son lit pour s'endormir, il avait retrouvé toute sa quiétude habituelle et, surtout, son sourire éclatant. Il allait les retrouver. Eux, ils avaient certainement un plan. Tout ira bien. C'est sur cette preuve de confiance absolue envers ses amis qu'il s'endormit paisiblement.